Lettre ouverte à Helvetas

Communiqués de presse, Nos plumes

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A l’attention de : M. Melchior Lengsfeld, Directeur ; M. Stefan Stolle, Directeur Communications & Fundraising, Helvetas Suisse; M. Patrick Schmitt, Responsable Bureau Suisse romande
Copie à : Les donatrices et donateurs

Genève, le 15 novembre 2016

Objet : lettre ouverte dénonçant la campagne « Changer, vraiment »

Messieurs,

Près de deux semaines sont passées depuis que votre campagne « Changer, vraiment » a fait l’objet d’une vague d’indignation à travers la Suisse. Cependant, à ce jour, pas une déclaration ni un geste publics laissant entendre que vous auriez au moins pris acte des récriminations de nombre de vos concitoyen-ne-s. Or, il semblerait que l’une des qualités premières requises d’une organisation visant à venir en aide aux populations soit de développer ses capacités d’écoute et d’être attentive à la réception de ses actions. Ainsi, en l’absence d’un geste de votre part hormis les irrecevables « explications » fournies en réponse à certaines publications Facebook, nous, citoyennes et citoyens, heurté-e-s par la vue, parfois quotidienne, de cette campagne que nous jugeons insupportable, prenons les devants pour vous faire entendre, au-delà de notre exaspération et colère, raison.

Le but de cette lettre n’est en aucun cas de vous arracher quelque éclaircissement que ce soit. Nous avons lu et relu vos « arguments » partagés ça et là, décrypté la campagne dans tous les sens possibles, et sommes parvenu-e-s au diagnostic suivant : il est temps de vous expliquer, en toute pédagogie, la raison pour laquelle de telles affiches sont absolument et incontestablement inacceptables dans un espace public tel que le nôtre. Il serait d’abord judicieux de vous rappeler que cet espace public nous appartient autant qu’à vous, que nous sommes les réceptacles des messages que vous diffusez, et que pour certain-e-s d’entre nous, nous sommes (ou plutôt étions) soutiens financiers de vos projets et avons à ce titre un droit de regard sur leur portée éthique, voire un droit de réponse si nous nous sentons personnellement attaqué-e-s par quelque action de votre part.

Et au cas où cela vous aurait échappé, nous sommes nombreux-ses à nous être senti-e-s personnellement blessé-e-s par les images placardées par vos soins sur nombre de murs que nous longeons.

Prétendre, comme vous l’affirmez dans une de vos réponses sur les réseaux sociaux, vouloir « lutter contre les préjugés véhiculés par de nombreuses personnes en Suisse » est bien ironique au regard du nombre de clichés entremêlés dans vos affiches. Entre le combo gagnant « famine – manque d’eau potable – analphabétisme – absence d’hygiène » qui, à grands renforts de campagnes larmoyantes, résume depuis des années le quotidien de milliers d’Africain-e-s dans notre espace public, et la dichotomie « les garçons à l’école » et « les filles à la couture » (résumé grossier certes, mais non moins fidèle de votre message), l’on a peine à déceler dans quelle direction se portent vos efforts en matière de « lutte contre les préjugés ». Présenter le quotidien des Noir-e-s comme marqué de tout temps par la « misère », l’ignorance et l’impuissance est précisément ce que nombre de vos prédécesseurs font depuis des décennies, véhiculant ainsi l’image déformée d’une Afrique globalement figée dans son dénuement et spectatrice de sa propre déchéance.

Montrer que « les gens se sont eux-mêmes engagés pour changer leur vie » est l’un des objectifs de votre campagne dites-vous encore dans une autre réponse. Comment est-on censé le deviner à travers des affiches où aucun nom propre (si ce n’est celui de Helvetas), et surtout aucune action ne figurent? De gauche à droite, les personnages passent comme par magie d’une facette du malheur à un résultat heureux, sans qu’à aucun moment leur propre intervention ne soit mentionnée. Alors certes, il est impossible de tout inclure sur une affiche ; cependant, « a fondé une coopérative » prend autant de place que « tire la chasse d’eau ». L’angle d’approche est juste différent.

Cette impression de passivité est considérablement renforcée par la totale dépersonnalisation des hommes et des femmes présenté-e-s qui, anonymes, suspendus hors du temps et de tout espace, ne « parlent » aux spectateurs que par l’élément le plus reconnaissable de leur identité : leur couleur de peau. L’inconscient collectif nourri au lait de la rhétorique humanitaire fera ainsi le reste du travail d’association d’idées permettant de rattacher ces personnes à cette célèbre et infamante Afrique tellement incapable de s’en sortir sans aide extérieure.

Ces personnages vidés de toute substance sont de plus le prétexte à un discours ne laissant aucune place à la nuance et à l’équilibre. Helvetas n’a pas eu l’impression de verser dans l’excès et l’abus de langage en présentant une femme Noire non identifiée comme ayant « toujours connu » la faim ? Il est en effet notoire qu’en communication, tout message hyperbolique se doit d’être contrebalancé par d’autres éléments (graphiques, syntaxiques ou autre) plus nuancés pour être recevable sans susciter de réticence du spectateur ou de la spectatrice. Or, certes, Helvetas nous a « épargné » le traditionnel enfant rachitique couvert de mouches, mais ne fait pas mieux en usant des adverbes « toujours » et « jamais » pour, de surcroît, décrire des situations extrêmes de l’existence humaine, créant ainsi une atmosphère de surenchère suspicieuse.

Permettez-nous également de douter du prétendu caractère désintéressé de cette campagne quand la seule rubrique de votre site Internet à reprendre le slogan martelé sur les affiches (« Changer, vraiment ») est précisément la rubrique relative aux dons financiers. De ce fait, l’isolation des populations Noires du reste de vos bénéficiaires et la réutilisation et diffusion de poncifs condescendants à leur sujet prennent une tournure d’autant plus outrageante qu’elles ne visent qu’à servir vos propres intérêts.

Et en filigrane des arguments que nous venons de vous détailler, cette question lancinante : pourquoi, alors que Helvetas intervient dans 31 pays, dont 8 seulement sont basés en Afrique, contre 12 en Asie, avoir choisi de ne placer comme illustrations du malheur, que des personnes Noires (dont, au demeurant, l’on est censés deviner l’emplacement géographique étant donné que Helvetas n’a pas jugé utile de les situer ou de les nommer)? Dans un contexte généralisé de sous, voire non-représentation des populations Noires lorsqu’il s’agit de diffuser des messages porteurs, permettez-nous de nous interroger sur les fondements et la légitimité de cette soudaine et exclusive surexposition.

Au vu de cela, disons que ce n’est pas nous qui demandons le retrait immédiat de ces affiches de tout espace public physique et virtuel. C’est le bon sens, l’honnêteté intellectuelle et l’éthique professionnelle qui le commandent. Ce sont aussi les principes de dignité, du droit à un espace public dénué de racisme, du droit à ne pas voir les corps et attributs visibles d’une partie de la société devenir les instruments d’une approche humanitaire misérabiliste à laquelle nous ne souscrivons pas.

En espérant que ces principes et valeurs sauront guider vos décisions prochaines, nous comptons sur une réaction prompte et éclairée de votre part afin de dissiper cette désagréable sensation de n’être aux yeux de Helvetas que de muets porte-monnaie ambulants, sans âme, ni voix au chapitre.

Cordialement,
Le Collectif Afro-Swiss
et
Association pour la Promotion des Droits Humains (APDH) (Grand-Saconnex, Genève)
Azanya L’Agenda (Genève)
Cre’Art Events (Lausanne, Vaud)
Cojep Suisse (Genève)
Les Indociles
On est ensemble (Suisse)
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) (Genève)
SolidaritéS (Vaud)

ABDULLE Idil (Lausanne, Vaud)
ADBEL MEGUID Hala (Genève)
ADET Anne-Claire (Genève)
AERNE Barbara (Lausanne, Vaud)
AKARI Kambey (Accra, Ghana)
ALEMU Yamrote
ALTMAN Rebecca Moyi (Genève)
ANDERFUHREN Marie (Genève)
ANDRIS Leticia (Licia Chery) (Genève)
ANDRIS Pascale (Genève)
ARHAB Amar (Genève)
ARHAB Corinne (Genève)
ARMATA Clementina (Genève)
ARVY Anne (France)
ASTIER CHOLODENKO Lorraine (Genève)
AYKAC Cagla Elcin (Genève)
BADAN Elisabeth (Clarens, Vaud)
BADIBANGA Wetu-Muka (Genève)
BAH Perrine (Versoix, Vaud)
BANFI Elisa (Genève)
BEHANE Noxolo (Chêne-Bourg, Genève)
BEMA Timba (Ecublens, Vaud)
BERTHET Chloé (Genève)
BETRAN Francine (Genève)
BIRRER Lewis (Vaud)
BISILLAT Maryline (Perroy, Vaud)
BLONDEL Sylvie (Lausanne, Vaud)
BOCCO Cécile (Genève)
BOCCO Ricardo
BOSS Cécile (Genève)
BOTTARELLI Alain (Lausanne, Vaud)
BOULOUDANI Valérie
BRAFLAN Olivier
BRATSCHI Fabienne (Lausanne, Vaud)
BRUDON Pascale (Genève)
BUERLI Claudine (Vaud)
BUERLI Stefan (Vaud)
BUYSSENS Danielle (Genève)
CARRON Djemila (Genève)
CARRUPT Abdul (Sion, Valais)
CENCIN Alessandra (Genève)
CHABLOZ Jade (Genève)
CHASSOT Joanne (Vevey, Vaud)
CIPRUT Dario (Genève)
CIPRUT Marie-Andrée (Genève)
CLIVAZ Mathias (Lausanne, Vaud)
CONSTANT Farah (Plan-les-Ouates, Genève)
COURVOISIER François (Genève)
DE ALMEIDA Eliana (Genève)
DEILLON Diane
DEL BIAGGIO Cristina (Genève)
DESPONT Caroline (Assens, Vaud)
DIALLO Hamidou (Genève)
DIENER Mo (Zurich)
DIND Daniel (Genève)
DJOUNGONG Martine (Genève)
DJOUNGONG Serge (Zurich)
DOS SANTOS PINTO Jovita (Genève)
DUCRET Véronique (Genève)
EL-SHIKH Inès (Le Grand-Saconnex, Genève)
ENGONE Melissa (Neuchâtel)
ENITAN-SIGAM Pamela (Genève)
ESKANDARI Vista
ESPAHANGIZI Kijan (Zurich)
FAVRE Laurence (Genève)
FIEDLER MENOUD Julie (Genève)
FORNARA Livio (Genève)
FÖLDHAZI Agnes (Genève)
GACHOUD Noémie (Fribourg)
GACHOUD Régine (Châtel-St-Denis, Fribourg)
GAJARDO Anahy
GALIPO Adele
GAVAND Flora (Gex, France)
GEADA Filomena (Saint-Julien en Genevois, France)
GIROD YETERIAN Lucie (Genève)
GNAEDINGER Luca (Genève)
GOOSSENS Alexandra
HAPPI Aïcha (Fribourg)
HELG Aline (Genève)
INVENTATI Sara (Lausanne, Vaud)
JACQUEMET Florian (Lausanne, Vaud)
JEKER Sandra (Genève)
JIMBE Nicole (Genève)
JUD Veronica (Genève)
KAGAME Josepha (Genève)
KAGAME Kayije (Genève)
KAGAME Shyaka Nkubito (Genève)
KAMEL Leïla (Genève)
KANKUENDE Tatiana (Lausanne, Vaud)
KAREKEZI Céleste (Genève)
KAREMERA Mucyo (Genève)
KIALANDA Laure (Carouge, Genève)
KISS Judit (Genève)
KOESSLER Christophe (Genève)
KONE SANE Aicha (Genève)
KOUESSAN Joëlle (Genève)
LACHAT Jacob (Genève)
LACHAVANNE Daphné (Confignon, Genève)
LACHAVANNE Valérie
LAMOUR Gaëlle (Genève)
LAVANCHY Anne (Lausanne / Genève)
LEBRUN Adeline (Fribourg)
LILI Aurora (Lausanne, Vaud)
LOKOSHA Marlène
LUMINUKU Tania (Genève)
LUU My-van Sylvie (Vaud)
MABOSO Anas Luzitu (Genève)
MAKELA Micheline (Vaud)
MAKELA Sylvie (Lausanne, Vaud)
MANVILLE Layla (Genève)
MARTIN YÉ Safi (Genève)
MASINA Nomalanga (Londres, UK)
MAWAFFO Ariane (Genève)
MBABAZI Philibert Aimé (Genève)
MBAYE Djinane (Berne)
MELONI Sonya (Féchy, Vaud)
MENDES Susana (Genève)
MENOUD Lorenzo (Genève)
METAIREAU Béatrice (Genève)
MFEGUE AYMON Marguerite (Genève)
MFUTANKATU Gloria (Vaud)
MICHEL Eva (Genève)
MICHEL Juline (Genève)
MICHEL Noémi (Genève)
MICHEL Roger
MOYO Tanya (Nyon, Vaud)
MUELLER David (Berne)
MUSANGU Getou – Christianne (Neuchâtel)
NAGUIB Tarek (Berne)
NANJOUD Bulle (Genève)
NAVERIANI Elene (Berne / Genève)
NDAYIZIGA Laurine (Roche, Vaud)
NDOUMBE NKOTTO Vanessa
NDUAKULU Jonathan James L.
NICOLAS Claire (Lausanne, Vaud)
NJOH Danièle (Genève)
NOTTINGHAM Kara D. (Genève)
NKUASA NDOMBASI Ntiaka Rossy (Lausanne, Vaud)
NSINGI Ndona Ella (Lausanne, Vaud)
NZABONIMPA Maliza (Vaud)
OHENE-NYAKO Charles (Vaud)
OHENE-NYAKO Pamela (Clarens, Vaud)
OHENE-NYAKO Shelly (Vaud)
OKYERE Kwame (Genève)
OSHODIN Cynthia (Onex, Genève)
OTHIENO Cyn (Genève)
OYEYI Sandrine (Carouge, Genève)
OYEYI-DELATOUR Esther (Genève)
PAGLIAI Sophie (Genève)
PEEVA Milena
PETREMONT Harry-Marc (Genève)
PETREMONT Joséphine (Genève)
PETREMONT Jude
PETREMONT Ludovic (Genève)
PETREMONT Mélanie (Genève)
PICCAND Laura (Lausanne, Vaud)
PINTO DE MAGALHÃES Halua (Berne)
PIRAUD Anouk (Genève)
PIRAUD Chloé (Genève)
PIRAUD Mischa (Genève)
PORCHER Natacha (Genève)
PUATI Idra Raphaël (Lausanne, Vaud)
RAHAMATALI Aisha (Genève)
REICHLIN Thomas (Genève)
REY Gaspard
RIBI FORCLAZ Amalia (Lausanne, Vaud)
ROLLE Valérie (Lausanne, Vaud)
ROSSI Leonora (Lausanne, Vaud)
ROTHENBERGER Sereina (Zurich)
SAADA Naïm (Genève)
SABATÉ Laura (Genève)
SCHENKER Emilien (Vallorbe, Vaud)
SCHIESS Christian (Haute-Nendaz, Valais)
SCHRAMM Bérénice K. (Montréal, Canada)
SCHWARZ Natalie (Berne)
SIANI Claire (Vaud)
SIGAM Bansoa (Genève)
SIGAM Djata (Genève)
STUDER Cécé David (Genève)
TAIEB Hamid (Genève)
TARAMARCAZ Julia (Fribourg)
TENGEY Edward (Bernex, Genève)
THIAM Magueye
THIESEN Cassandra
THION Gaëlle (Thônex, Genève)
TOCHETTI Sara (Lausanne, Vaud)
TOMBOLA Angela (Genève)
TOURÉ Oumar (Genève)
TOUTOU-MPONDO Fanny
TSHUNZA Aurélie
TUTONDA Dony Gaylord (Lausanne, Vaud)
UPJOHN Hélène (Genève)
URUSARO IMHOF Cynthia (Vaud)
UWACU MANILIHO Delphine (Zurich)
VALLIER Camille (Genève)
VAN DE WAAL Erica (Genève)
VARONE Eléonore
VICQ Benjamin
VITULLO Morena (Genève)
WEBER Jean Martin (Genève)
WELLHÄUSER Sabrina (Grône, Valais)
WYSS Atalio (Genève)
YASANDIKUSUMA Irma
YÉRÉ Henri Michel (Bâle)
YÉRÉ Huguette (Vaud)
YETERIAN Cyril (Genève)
ZAY Julie (Petit Lancy Genève)

 

One thought on “Lettre ouverte à Helvetas

  1. Déjà, en 1550, à Lisbonne, au Portugal, la population africaine venue d’Afrique de l’Ouest était de 10% de la population totale du pays et celle-ci constituait la majeure partie de la force du travail.
    Les Helvètes quant à eux ont sans doute participé au commerce des êtres humains en tant que financiers et usuriers ; même aujourd’hui, les Africains doivent s’attacher aux Suisses par les mariages, pour rester vivant, ils sont des domestiques intégrés à la vie et la société. Pour les Suisses, leur seule raison d’accueillir les Africains est et restera toujours pour les assimiler et pour l’augmentation de sa population et la force du travail.

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